top of page

Pierre Solot # Ernesto Lecuona. Par où filtre la lumière.

Le piano et lui, c’est l’histoire d’un rendez-vous galant tant désiré que reporté. Mais Pierre Solot, en tête à tête avec son instrument, ne lui conte pas fleurette. Il l’enlace sans détours, le fait scintiller comme un ciel d’été et le rend complice de quelques nécessités : la joie dans la solitude, la fierté de soi-même et la quête de sens.


Homme de radio, de scène, de télévision, il parle bien, écrit bien, est avenant, cultivé, sympathique. Face aux succès du jeune quadra, qui vient orner son parcours d’un premier enregistrement en tant que pianiste soliste, on a du mal à imaginer l’adolescent insignifiant qu’il affirme avoir été – ou s’être senti être. Petit, il voulait être aventurier, mais c’est au piano qu’il se distingue, assez tôt pour que s’impose la voie musicale. « Et c’était la meilleure décision de ma vie. Je n’arrive pas à trouver autre chose aussi important que nourrir ce rapport musical au monde. »


C’est de rapport au monde qu’il s’agit, précisément, quand on évoque l’album qui vient de paraître, ce 7 juin, au label Fuga Libera (Outhere Music). Les partitions d’Ernesto Lecuona arrivent dans ses mains en 2019. Une amie cubaine lui offre cette musique qu’il ne connait pas mais qui, pour elle, est une évidence, Lecuona étant aux Cubains ce que Liszt ou Chopin, par exemple, seraient aux Occidentaux.


« Je m’y sentais bien, c’est confortable, tellement bien écrit pour le piano, et la musique me séduisait. Mais j’ai mis du temps à trouver du sens à l’envie de l’enregistrer. Aujourd’hui, je peux parler de lumière, de joie. Il n’y a que ça dans cette musique, à la place où elle existe pour moi. »

La question du sens, pour Pierre Solot, est indiscutable dès lors qu’il produit un geste artistique destiné au public. Dans le spectacle « Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon », dont il partage l’écriture et la scène avec son ami d’enfance, le comédien et dramaturge Emmanuel De Candido, ils questionnent le pouvoir des médias et les conséquences d’un rapport virtuel au monde. Son précédent disque, « Change », conçu et enregistré avec la violoniste Elsa de Lacerda, germe quant à lui sur des chants de lutte ayant inspiré des changements de société. Des approches sensibles et réfléchies de sujets politiques. Du lourd.  


Rien de ce genre autour d’Ernesto Lecuona. Vie aisée, carrière privilégiée, succès naturel et incontesté, la trajectoire est linéaire et l’origine cubaine presque anecdotique. C’est que la bonne question n’est pas « pourquoi lui » mais « pourquoi cette musique ». « Le monde du classique est plein de préjugés et de jugements sur les œuvres qu’on choisit. Je suis plutôt un intello de la musique, j’ai toujours travaillé sur des projets aux concepts assez érudits – mais ici c’est purement sensitif. Je voudrais que l’évidence de ce projet, sa rondeur, sa séduction, existent pour elles-mêmes. »


Et donc, écoutons cette musique. Silence, ça tourne… Parfois comme une valse viennoise, parfois comme au cinéma muet ou au music-hall, échos de l’époque où le compositeur accompagnait des zarzuelas au théâtre.


« Aragòn » ouvre le disque, somptueuse et virtuose. Plus loin, un lumineux « Preludio en la noche », une langoureuse et fière « Malagua », un « Rococo » taquin et séducteur, « Ante el Escorial » plus guttural et sombre. Un bouquet de danses cubaines, un cortège carnavalesque et ça continue, le sortilège opère, pendant un peu plus d’une heure. Le son du piano est rond, tamisé, timbré, il nous murmure tour à tour des rêveries, des doutes, des espérances. L’apprenti aventurier a cueilli quelques brassées d’étoiles au bord de sentiers intérieurs.


De ces bandes, enregistrées à la Salle Philharmonique de Liège, rayonnent un piano enjôleur, un pianiste abandonné au soleil qu’il veut répandre, à sa chaleur. Qui pose sa petite brique de lumière sur l’édifice d’un jour ordinaire. Car, sans s’en apercevoir, on est tout à coup en train de danser dans la cuisine, enveloppés par une musique qui, bout à bout, fait l’éloge de la gourmandise et de la simple ivresse d’être vivant.


 

1 Comment


LizaDee Combo
LizaDee Combo
Jun 21

Quelle plume, en effet! Et les compliments concernant Pierre Solot sont bien mérités. Intelligence tant intellectuelle qu'intuitive, et grand talent.

Like

À l'affiche

Posts récents

Pas encore de mots-clés.

Par tags

Nous suivre

  • Facebook
  • Instagram
bottom of page