L'étincelle aux poudres
Ce que je préfère chez Bertier, c'est que ça n'essaie de ressembler à personne.
Même si j'entends dans leur musique des références communes sans aucun doute (Bashung, Belin, Gainsbourg), à la fin du morceau c'est toujours Bertier qui l'emporte. On y côtoie le talent rare de pétrir les anciens pour façonner le présent, d'absorber leur densité fuyante et d'en faire jaillir... les étincelles d'un feu nouveau.
Voici, par exemple, une chanson : « L'étincelle ». La musique est signée Nicolas Jules. La rencontre n'a pas raté entre ces deux grands messieurs du verbe, plasticiens du bon mot, troubadours modernes. Les cordes sont convoquées en musique de chambre et vaguelettes gonflantes - comme dans les plus jolies parties du précédent opus, à mon humble avis. Il y était question de l'eau, ici c'est au tour du feu. Et comme au départ du feu était l'étincelle, Pierre Dungen est allée la puiser en lui pour mieux la disperser. Raconteur d'histoires, saltimbanque poète, le « feu » qu'il nourrit dans ce titre renvoie au passé. A feu les « souvenirs si grisants au miroir du présent ». S'il faut assurément un peu d'ego pour se sentir artiste, celui-ci n'oublie jamais de redistribuer la partition. Pour composer cet album, il a confié la mise en musique à des collègues. Un collègue par titre : une aventure de partage, de confiance et de connivences.
Dans notre présent de printemps 2021, on évoque pompeusement « l'importance du lien social » comme un passé qui nous manque et l'espoir de retrouvailles incertaines. Cette torche souffrante, Bertier a choisi de la rallumer aux étincelles d'une galerie de regards. Une vidéo sobre, émouvante et légère réalisée par Lara Herbinia – saltimbanque poète elle aussi, spécialisée en visions du monde. Tant de finesse dans la somme de ces énergies brûlantes.
Ceci ne remplacera pas la sortie du disque qui devait se tenir en public en cette fin de mois d'avril. Mais en attendant le retour des feux de joie, ne laissons pas mourir les braises. Soignons les artistes qui consacrent leur vie à nous le rendre.
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